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Ma Nationale, comme je pourrais dire ma maison. Non par sentiment d'appartenance, mais plutôt sentiment d'intimité.

Je la connais depuis mon enfance cette route. La maison de mes grands-parents était au bord de la Nationale 7, à Moulins / Allier, bercée par la ligne de chemin de fer Paris-Clermont-Ferrand.

Parfois, les dimanches, nous allions en famille chez eux prendre le café. Quand il faisait beau, c’était sous le tamaris dans la cour. Mais la plupart du temps, dans la salle à manger, petite pièce envahie de bibelots et napperons faits par ma grand-mère, avec au centre une grande table à manger.

Mon grand-père siégeait au bout, tel un patriarche, avec les siens autour de lui. Pour les femmes c’était un café, pour les hommes, une petite gnôle accompagnait le café.

Nous restions une heure, et puis en repartant, mes parents aimaient s’arrêter dans le magasin de décoration, au bout du chemin. Il fallait juste traverser la Nationale. Pas si simple en été, où nous devions parfois attendre quelque dizaine de minutes. Le trafic y était incessant en période estivale, à une certaine époque. C’était la route vers la Grande Bleue, la route des vacances.

Et puis la fin d’après-midi pouvait se terminer chez ma tante et mon oncle, un peu plus haut.

Voilà mes premiers souvenirs de la Nationale 7, vagues, lointains. Mais bien présents en moi. Une trace indélébile, une empreinte.

Et puis il y a eu Paris, les amis. J’ai quitté Clermont-Ferrand, où j’avais commencé mes études, pour partir à la capitale (comme aurait dit mon grand-père!) pour les poursuivre.

J’ai 20 ans. Nos parents habitant en Auvergne, nous redescendions souvent en voiture, par la Nationale, car moins cher. Et puis nous pouvions prendre notre temps. S’arrêter dans les routiers , prendre un café, grignoter quelque chose.

C’est aussi l’époque où je découvrais la photographie.

Nous étions quatre. Ma chérie et moi, et ses deux meilleurs amis. Tout le monde aimait prendre son temps et était amoureux de la route. C’est Dom qui conduisait. Une vieille 505 qu’il bichonnait comme la prunelle de ses yeux. Nous partions souvent de Paris en fin d’après-midi, nos sacs chargés dans le coffre et les chats dans la voiture. Ils nous accompagnaient quand on redescendait pour plus longtemps qu’un week-end.

Sortis de Paris et de ses embouteillages, la route défilait devant nous, à notre rythme. Les routiers nous accueillaient pour un café, une pizza, une pause clope sur le parking, la 505 garée à côté des poids lourds. Et puis on repartait jusqu’à la prochaine étape. La musique envahissait la voiture, les volutes de fumée aussi. Le paysage se déroulait, comme dans un film, comme dans un road-movie.

Je suis repartie sur cette route plusieurs fois ces dernières années. Partie seule depuis Paris pour rentrer chez mes parents, j’ai redécouvert tous ces lieux qui avaient animés mes jeunes années d’adulte. Et j’ai eu envie de retranscrire mes émotions à travers des photographies empreintes d’une certaine nostalgie.

Les routiers sont toujours là, mais l’effervescence d’autrefois a laissé place à quelques habitués qui viennent boire leur bière avec le patron. Quelques camions subsistent. Sans doute des amoureux de la route.

Le temps d’un thé, lors d’un de ces voyages nostalgiques, dans un de ces routiers, appareil photo posé sur la table, le fils du patron est curieux. La conversation se lie. Nous sommes quatre dans le bar, dont le fils du patron, et moi, une étrangère. Mais que puis-je bien faire ici, se demandent-ils sans doute.

Cette fois-ci, j’ai mis 7 heures à parcourir 300 kilomètres, à rouler sous la pluie depuis la Porte d’Italie, à m’arrêter partout, à photographier la Nationale 7 d’aujourd’hui et la mienne. Aujourd’hui déclassée, beaucoup de routiers ont tiré les rideaux définitivement. Le magasin de décoration a fermé lui aussi. Le chemin de mes grands-parents ne mène plus à la Nationale 7, il a été coupé en deux par le chemin de fer, qu’on ne traverse plus. La Nationale 7 n’existe plus dans son tracé original. Ce n’est plus la route des vacanciers, mais celles des locaux, qui se la réapproprient. La sortie des villes avec sa campagne a fait place à des zones d’activités de commerce en pré-fabriqué.

Mon but n’était pas de faire découvrir cette route, mais de partager une partie de mon chemin, une partie de moi-même.

Du plus intime de cette route, comme la maison de mes grands-parents, au plus commun des souvenirs de chacun, comme les routiers.

Il est parfois singulier de voir comment une rupture amoureuse, nous conduit à faire de belles et fortes rencontres intellectuelles et nous pousse à reprendre la route de notre histoire passée, pour mieux reprendre le chemin de notre vie.
 
C’est ce qui m’a traversée, il y a quelques années. Pensant retrouver mes marques, des repères, j’ai repris le boitier 6x6 laissé depuis trop longtemps sur l’étagère et suis partie pour un voyage en solitaire sur cette route vieille de centaines d’années, la Nationale 7.
Aussi mythique que la «66» américaine, cette Nationale traverse mon histoire personnelle, mon origine, le pays de mes souvenirs mais j’y ai découvert bien d’autres choses aussi.
Point de départ de mon histoire.
 
Lors de ce voyage en solitaire, j’ai ancré mon histoire à son port, la maison de mes grands-parents, j’ai retrouvé les images du passé pour nourrir un futur, mais la vie de cette route a changé, elle n’a plus le même succès, la même splendeur. Quoi qu’il en soit, on refait toujours le chemin à l’envers de notre route personnelle, à un moment donné de notre vie, pour mieux poursuivre son chemin.
 
De ce voyage introspectif sont nées ces images qui parlent du passé et du présent en même temps, comme une acceptation des choses et de leur réalité, comme un nouveau départ : ma Nationale 7.

Les oeuvres présentées sur ce site sont protégées par la loi sur les droits des auteurs © Céline Bonnarde
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